En ce moment je lis, cadeau de Don Felipe, Le poème de la sainte liturgie de Maurice Zundel. Je ne le savais pas si bonaventurien. Voici quelques citations relatives à la transfiguration de la matière et à la vision sacramentelle de l'univers. C'est une application de la théologie symbolique qui voit en toute chose un "vestige" ou "signe" de Dieu. Et accesoirement, ça illustre parfaitement ce que j'appelle la "contemplation externe".
L'Art a constamment senti que la matière passait infiniment la matière, et il s'est servi de la matière même pour exprimer ce dépassement.
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Toute matière offre les abîmes de son cœur comme reposoir à l'Esprit. La Création apparaît du dedans, translucide en l'unité vivante de l'Amour. La Lumière du monde scintille dans la flamme du cierge, et son cœur bat dans le mystère de la lampe. L'Univers, en état de Contemplation, n'est plus qu'un immense sacrement.
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L'Infini est là, a portée de l'Esprit, au cœur de la matière transfigurée, qu'on ne peut plus voir que par les yeux de l'âme : à mesure qu'on goûte au divin Ferment qui incorpore à notre vie, sous le voile du pain, le Mystère infini de l'Amour crucifié.
Notre regard s'insère au centre le plus intime des choses et s'épanouit du dedans au dehors suivant le mouvement de la source - saisissant ce dehors même dans la lumière du dedans, épelant la pensée divine dans l'alphabet glorieux des signes. La plus humble réalité luit à l'horizon de l'âme comme un ostensoir, et chaque rencontre ajoute une note nouvelle, en nos cœurs, au Cantique du Soleil.
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C'est avec cette ampleur que l'on peut entendre le mandat confié par Jésus à ses apôtres : « Allez dans tout l'univers, et annoncez l'Evangile à toute la création . »
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Et comme tout ce qui est en tant que tel est bon — le mal n'étant que privation d'être — c'est tout l'univers, pour finir, qui tend à devenir Sacrement, comme l'immense ostensoir de la Présence divine.
O terre nouvelle, ô monde translucide, ô sources lumineuses qui êtes le chant de la Source, ô torrents argentés qui portez la blancheur de la cime, ô rives d'allégresse où court le fleuve de vie !
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Si nous pouvons avec la matière des sons, dont est fait le bruit, construire la fluide et diaphane architecture de la musique ; si l'encre et le papier peuvent évoquer dans l'âme d'autrui les subtiles intonations de notre pensée ; si un baiser peut révéler au lépreux la plus sublime charité, faut-il s'étonner que Dieu daigne susciter en nous, par un langage cosmique, les résonances les plus intimes et les pulsations les plus secrètes de Sa propre vie ?
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S'attacher à soi en se détournant de Dieu, voilà l'essentiel du drame dont Dieu Lui-Même est la mystérieuse victime. Son règne, aussi bien, ne peut, sans nous, ni s'établir en nous, ni s'étendre à l'univers, pour autant que l'homme ou la nature sont tributaires de notre âme.
C'est pourquoi tout ce qui obscurcit en nous la splendeur du Visage divin, ou limite le rayonnement de son amour, tout ce qui intercepte le courant de grâce qui rend les âmes intérieures les unes aux autres en les rendant intérieures à Dieu, est un attentat contre l'ordre essentiel de l'univers.
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Par la vertu du Christ, la matière conduit à l'Esprit et le donne.
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Tout l'ordre visible jeté dans le pressoir, et foulé aux pieds du géant, ne donnera que des larmes et du sang.
L'objet flétri, la nature violée, privés simplement de leur éclat, demeurent impénétrables.
Aux yeux de la chair, l'Infini ne peut paraître, et les mains ne peuvent le saisir.
Il y faut un autre regard, un autre toucher - et pour trouver le monde : le dépasser.
Car le Divin est, dans les choses, non point leur substance, mais leur cause seulement, et leur éternelle raison - et la lumière indéfectible qu'elles reflètent, autant qu'elles durent, suivant le degré de leur transparence.
Elles mêmes, aussi bien, nous crient : montez plus haut, ce n'est pas nous. Ipse fecit nos : c'est lui qui nous a faites.
Comment la fleur répondrait-elle de sa beauté qui passe avant elle, ne pouvant répondre de son être - lui-même passager.
Ce n'est qu'un moment - c'est un vestige d'une autre splendeur.
Au premier instant que vous admiriez, vous l'avez peut-être pressenti : il n'y avait tant de plénitude dans votre joie, qu'à raison de la rencontre, dans cette beauté, de la Beauté : les limites s'effaçaient, la matière diaphane n'était plus qu'un voile de lumière, sur ce Visage ineffable.
L'espace d'un éclair, vous avez vu la vraie face des choses, connu la joie de l'univers, - et trouvé l'Infini. Signatum est super nos lumen vultus tui, Domine : dedisti laetitiam in corde meo - « La lumière de ton visage s'est levée sur nous, Seigneur : tu as versé la joie dans nos coeurs.»
Il en est bien ainsi : il y a dans les choses telles perfections que nous ne pouvons concevoir qu'illimitées. Leur notion même nous entraîne au-delà de leur réalité présente, vers l'océan sans bornes de l'Être, - et ce qu'il y a de plus parfait dans l'ordre créé, ajoute à sa valeur propre, une valeur de signe.
Il faut même dire, puisqu'une certaine excellence à tout être convient, que tout être possède une aptitude essentielle à nous faire connaître le divin. C'est de cette manière que l'infini est dans les choses. C'est par là que toute réalité devient vénérable, et que le monde entre dans la grandeur : une nouvelle terre, de nouveaux cieux.
Mais c'est surtout un autre regard, chargé d'amour et de respect.
La nature ne se défend plus, - elle ne dit plus : Noli me tangere, nondum enim ascendi ad Patrem meum - « Ne me touche pas, car je ne suis encore monté vers mon Père.»
Avec le coeur de l'homme, elle est montée vers le Père. Et lui : ne songe même plus à cueillir la fleur, qui ne peut que se flétrir, dans sa main.
Il sait qu'on possède en esprit - selon la vérité - tout ce que découvrent les yeux.
Chaque chose lui est tout.
Il n'est pourtant l'esclave d'aucune ; car si la fleur se dessèche, sous le feu de midi, - le rocher brûlant, tout autant lui reflètera la face de Dieu.
À plus forte raison, les hommes - dans le plus beau sens du mot - trouveront-ils grâce à ses yeux.
Il frissonnera de bonheur, ayant secouru le mendiant - qu'il sait bien avoir été : Jésus-Christ.
Alors il s'en ira, par le monde, chanter le Cantique du Soleil, portant même salut aux hommes et aux choses : Dominus vobiscum, « Le Seigneur est avec vous » !
Wow, merci.
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